SE RETIRER POUR MIEUX FRAPPER

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Midnight Boom, le chef d’œuvre des Kills ? Parfois lent à la détente, le Montreux Jazz les a enfin programmés cette année... 

Le monde a changé. Fini l’hystérie désinvolte des années Libertines. La décennie 00 file à une vitesse folle et, paradoxalement, tout est à refaire aujourd’hui. Jamais le consensus mou n’avait été aussi présent. Dans leur coin, misanthropes pour peu, les Kills ont eux aussi changé. Noirs, très noirs à leurs débuts, on aurait pu penser à une excroissance claustrophobe d’une PJ Harvey citant à la fois Hubert Selby Jr et Captain Beefheart. Sur scène, les Kills éclatent d’une extrême sexualité : se tenir sur ses deux pattes est donc ici fortement conseillé. Dans la foulée, ils prouvent par A + B le ridicule des institutions rock – voir le spectacle affligeant des Stones face à un parterre de cadres d’entreprise dans le Shine A Light de Scorsese.

Honnêtement, ce groupe est la chose la plus crédible qui soit arrivée au rock’n’roll depuis, sans doute, Joy Division. Considérés à l’époque comme de simples outsiders, Alison Mosshart et Jamie Hince n’ont jamais revendiqué un quelconque statut. Laissons donc les stades à d’autres hérauts et contentons-nous d’écrire la légende : « d’une certaine façon, je préfère être culte que populaire. C’est plus important de laisser une trace que d’exister maintenant, vite et fort, sous les spots. Mais il faut tout de même exister dans l’instant. C’est un conflit paradoxal permanent. C’est comme ça » déclarait Jamie Hince il y a 3 ans de cela. Leur troisième album sous le bras (Midnight Boom) les Kills accumulent toutefois les arguments pour une consécration légitime. Un album où les genres ne se croisent pas sur ce disque : ils se percutent, copulent comme si demain n’avait aucune chance de voir le jour. La présence éphémère d’un Spank Rock à la production n’y est sans doute pas étrangère... A trois c’est bien, mais à deux c’est suffisant. « Comme un cercle social restreint qui n’a besoin de personne d’autre pour exister ». 

A travers des titres comme Tape Song ou Last Day Of Magic, le duo a appris à enrober sa rage maladive. Pop à s’y méprendre (Black Baloon ou What New York Used To Be), le répertoire reste rugueux. Pas de quoi s'enthousiasmer dans le foyer : les rideaux sont restés scrupuleusement fermés, et pas seulement en hiver. A deux, on se tient le coudes pour échapper à la bassesse du monde, sans pour autant être accusés d’un quelconque acte égoïste de démission. A l’individualisme du monde, ces deux se fendent de surnoms idiots – Hotel pour lui, VV pour elle – demeurent ironiques sans être blasés, tout en rendant hommage, pour déranger, à la meurtrière Florence Rey. 
Homogène, sans connaître le sans-faute (Sour Cherry), ce Midnight Boom est un don pour la science: sûr que les explorateurs soniques y trouveront matière à dissection et prétexte à carboniser leur matériel. « Sur scène, je fais l’amour à 25'000 personnes. Puis je rentre seule chez moi » : quarante ans plus tard, Janis Joplin n’aurait jamais cru qu’un couple se réapproprie si bien ses mots.

(article paru dans la première édition de la Gazette de l'Orgeat)


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