BEACH HOUSE.

Premier véritable classique pour le duo nord-américain Beach House. Il aura fallu attendre trois albums pour enfin voir leurs compositions totalement maîtrisées. Avec une poignées de titres éblouissants.


La musique de Beach House n’est pas la quintessence même, elle ne provoque pas d’agitations conséquentes, ne fera jamais de ses géniteurs des grands noms de la pop ou du folk contemporain. Il n’y pas de tubes immémoriaux ni de disques totalement aboutis, définitifs ou fulgurants. En trois albums, Beach House a pourtant impétueusement travaillé dans la brèches des ritournelles faites de chimère et de belles rêvasserie, à la recherche de la grâce exemplaire, au point de fidéliser quelques noctambules, d’aimables bobos ou de dévoués bibliothécaires ; premier du lot, l’éponyme BEACH HOUSE (2006) suggérait de belles intentions en neuf titres pourtant inégaux. Où des compositions somptueuses telles que "Saltwater" ou "Tokyo Witch" tissaient des liens entre Mazzy Star et les comptines pastorales. Sans prétention aucune, Beach House avait aussi fabriqué de leur quatre mains des atmosphères proches des épilogues filmiques de fille Coppola ("Master of None") ou de paysages apocalyptiques ("Auburn and Ivory", du Soap& Skin sans la dépression). Depuis, on avait un peu oublié le duo, notamment après le raté DEVOTION (2008).


De telles choses provoqueront des vocations


Ce deuxième essai était lui très très loin de l’extase, à défaut de chercher l’esthétisme par de jolis croquis qu’on avait du mal à ne pas considérer comme balourds. Certes, l’ouverture "Wedding Bell" s’en sortait bien avec son accompagnement au clavecin, tout comme "Gila" nous avait tiré deux-trois sueurs froides. Pour le prix, une petite compilation des Cocteau Twins ou de Tiny Vipers faisait pourtant mieux l’affaire, c’en était sûr. La grâce, Beach House s’en approche donc à la troisième tentative. TEEN DREAMS consacre ainsi ces symptômes jadis imparfaits, vagues, parfois criticables mais pas fâcheux. Car Victoria Legrand et Alex Scally ont su saisir l’essence de leurs desseins, en resserrant les rangs, en ciblant leur propos quitte à en faire leur LP le plus accessible, et de loin. Mais avenant ne veut pas dire inintéressant. Fort de ce constat, "Zebra" peut ainsi être considéré comme le premier véritable morceau emblématique de ces citoyens de Baltimore, Maryland. Fille du compositeur français Michel Legrand, Victoria ne s’est jamais parée de tant de dorures pour ainsi chanter comme une petite reine céleste, candide et et affable. «Anyway you run, you run before us. Black and white horse arching among us» : c’est certain que de telles choses provoqueront des vocations, à psalmodier entre ciels et mers.




La notice d’emballage nous avertissait : « Les Beach House que vous retrouvez ne sont plus ceux dont vous pouviez vous rappeler. Leurs vies ont été mélangées, enchevêtrées, et ré-alignées », rien que ça. A entendre les très pop "Silver Soul" et "Norway", on imagine le changement profond. Il y aurait presque ici du Kate Bush, c’est dire… De presque blafards, le duo est devenu lumineux, précipitant le tempo pour s’affranchir des codes d’une Dream Pop décidemment beaucoup trop pompeuse (voir ici leurs compatriotes Yeasayer qui se sont pris les pieds dans le tapis). « Cet album a changé nos directions. Nous étions forcés de nous détacher de certaines personnes et de certaines choses : la normalité, les rituels quotidiens, la capacité à prendre soin de nous » relate Victoria. Enregistré dans un église new yorkaise par les soins de Chris Coady, producteur de bons goûts (Islands, Marissa Nadler, ...And You Will Know Us by the Trail of Dead notamment), ce 10-titres est riche, riche d’ambiances, de vibrants arrangements 60’s, de penchants pour les grands sommets. Enfin ambitieux, Beach House laissent une trace indélébile après l’écoute de ce TEEN DREAMS ; mieux même, ce serait faire la fine bouche que de vouloir éliminer certains titres, outre peut-être le final "Take Care", en dedans par rapport au restant. La palme du meilleur morceau revenant au flamboyant "10 Mile Stereo", qu’on se ferait volontiers greffer sur le cœur. Ici, le duo excelle véritablement dans un new-wave sensuelle (qui a dit The XX ?). A bien y réfléchir, Victoria Legrand et Alex Scally font mieux que de se défendre, nous surprenant même (le soul "Real Love"), nous émouvant parfois (le limpide "Used To Be"), prenant la tangente, preuve d’intelligence. Franchement, ce disque frôle l’aboutissement total. Et la grâce par là même...
La suite devrait être royale, à n’en pas douter. En concert à l’Abart de Zürich le 6 mars prochain.