Johnny Cash, comment te dire adieu ?

Album supposé final de l’intouchable série American de Johnny Cash. Où comment tenter de dire au revoir au grand homme en noir.

Les médias ont intitulé cet album comme étant d' «outretombe», qualificatif on ne peut plus pompeux quand on parle du Man in Black, ce d’autant plus quand on apprend que ces enregistrements sont issus de la même session que lors du American V - A Hundred Highways (sorti en 2006, soit déjà trois ans après sa mort officielle). Cash n’est pas mort, les adieux sont impossible à effectuer, alors prenons ce American VI : Ain’t No Grave comme la suite d’une aventure, d’une relation qui prendra véritablement fin à notre… mort personnelle. A cet homme des extrêmes, voltigeant entre les grands plateaux et la lumière noire, qui a apporté le soleil éternel à la moitié de la population mondiale, au moins. On peut croire Rick Rubin qu’il s’agit ici du dernier chapitre de sa belle collaboration avec Cash. On le remerciera éternellement d’avoir su le tirer de son silence en 1993, avec un 13-titres voyant un Johnny Cash interprétant tant des morceaux originaux que ceux des autres, et ce avec beaucoup d’éloquence – du Kris Kristofferson, du Leonard Cohen, du Loudon Wainwright notamment et d’avoir poursuivi la série avec des titres quasiment autant iconiques que ses classiques - "One " de U2, "Hurt " de Nine Inch Nails.


Attente


Pour cet épilogue, où l’on sent un apaisement, comme si Cash semblait enfin s’être résolu à déposer les armes non sans avoir pour autant pansé ses plaies, le disque est carrément crépusculaire (relevons-le tout de même, c’est flagrant), moins vigoureux que ne l’étaient les American I à IV. Rappel des faits : June Carter, sa June, décède à l’orée de l’été 2003. Cash ne lui survivra que quatre mois, tout en tenant sa promesse à sa femme de travailler sans elle. Les enregistrements sont donc de cette période d’entre-deux, d’attente et de maladie. Sept ans plus tard, l’écoute de ce dernier album n’en est que plus émouvant, où l’on s’en fout éperdument du temps, celui qui passe, celui qu’il nous reste, celui qui n’a finalement que peu d’importance. Où Cash semble effectuer une dernière pirouette pour prendre congé de l’assistance avec l’hawaïen "Aloha Oe". La tristesse sincère, mais la joie des souvenirs, tout comme le soulagement d’avoir enfin trouvé la paix et d’avoir pardonné. Forcément, il y a des références religieuses, tant dans les écrits des médias que dans les propos de Cash.



Plus court que les précédents, moins aboutis logiquement, cet album ne manque cependant pas d’intérêt. Il ne faut pas y voir un énième coup marketing pour remplir les poches du label, la maison Cash semble bien protégée, le respect ici présent. "Ain't No Grave (Gonna Hold This Body Down) " de son contemporain Claude Ely, de Virginie, lance adéquatement ce titre, aux arrangements encore une fois parfaits. Il faut entendre ces chaînes se fracasser en rythme, cette voix de Cash les accompagnant, plus fort qu’elles, plus fort que la mort, malgré une voix qu’on sent fatiguée par le poids des ans. Les ténèbres rôdent, mais Cash n’est pas fait du même métal que le commun des mortels. Encore une fois entourés de musiciens autant roublards que sobres, Cash transperce l’auditeur avec cette ballade country qui présente aussi l’intérêt de nous faire découvrir qui était Claude Ely, ce chanteur de gospel contemporain. Bien conseillé par l’érudit Rubin, Johnny Cash surprend en reprenant par la suite un morceau de… Sheryl Crow, "Redemption Day", une ballade qu’on croirait sienne, transcendé par un orgue Hammond splendide qui fait de ce titre une lueur certaine. Le clin d’œil à Kris Kristofferson est encore une fois présent dans la série American, avec ici le solennel et léger "For the Good Times", interprété avec justesse bien que ne mettant pas tellement en danger le gars d’Arkansas. On passe au premier titre personnel, "I Corinthians 15:55", du Nouveau Testament, avec ces paroles faisant office de pardon éternel : « O death, where is thy sting? O grave, where is thy victory ? », puis "Can't Help but Wonder Where I'm Bound" de Tom Paxton, pas folichon, puis "A Satisfied Mind" (Red Hayes, Jack Rhodes) qui fait ici un joli clin d’œil autobiographique : « But I'm richer by far / With a satisfied mind ». Il y a aussi ce titre, "I Don't Hurt Anymore" (Don Robertson, Walter E. Rollins) auquel on ne peut s’empêcher de penser au fameux "Hurt". Un homme enterrant la hache de guerre est forcément émouvant. Il n’y a pas défaite, juste des hommes fatigués, serein devant l’éternité. "Cool Water" (Bob Nolan) pourrait nous faire lâcher quelques larmes tant on a aimé ce Johnny Cash vigoureux, incisif, et humain. L’ami des prisonniers n’aura jamais lâché l’affaire, si ce n’est durant ces foutues années 80, là où tout le monde se sera vautré superbement (mis à part Bowie ?). Dernier véritable morceau, "Last Night I Had the Strangest Dream", petite ballade à la mandoline et à la slide, laissant à Cash le soin de prendre congé de l’assistance. Un congé provisoire on l’a dit, tant sa présence ne périra jamais (on ne peut pas en dire autant de certains).

Plus fort que la mort


Qu’on profanerait sa tombe à Hendersonville, Tennessee, rien n’y changerait : Johnny Cash gardera intacte son aura ; il n’aura jamais fait le moindre faux pas tout en restant un être digne exemplaire. Qu’on l’appelle maître des rockeurs, peut-être, mais avant parrain des hommes justes et courageux. S’il a vécu pour mille, le Man In Black restera comme le chanteur des petites gens, généreux, révolté et visionnaire. Quoi de mieux que de boucler cet album-épilogue sur ces paroles : « One fond embrace / a hoi ae au / Until we meet again »?